TENET est un ovni. Nolan nous avait pourtant habitué à une structure narrative éclatée — Memento et sa chronologie inversée, Inception et l’imbrication des subconscients — mais dans TENET c’est puissance dix-mille ! Nolan “sculpte le temps comme une matière première” pour paraphraser Adèle Van Reeth (dont j’adore les podcasts sur France Culture).
Honnêtement, à la première projection, vous serez déboussolé. Les dialogues sont denses, le rythme est frénétique. Au générique de fin, j’ai eu la nette sensation d’avoir été prise en otage pendant 2h30 par une débauche d’actions dont je peinais à faire sens. Si la virtuosité cinématographique ne faisait pas de doute (je pense notamment à la scène hallucinante de la course poursuite inversée dans Tallinn), était-ce au prix de la vacuité du scénario ? Pourtant, de la confusion de mes impressions émergeait l’intuition qu’il y avait, dans ce film, davantage qu’un apparent désordre et une avalanche de concepts fumeux — entropie inversée et étaux temporels pour n’en citer que deux.
Démêler les fils du temps
Dans le durée de ce film, Nolan nous offre une expérience du temps si radicalement différente qu’il est très difficile d’appréhender l’intrigue dès la première projection. Il nous adresse pourtant un précieux conseil dans la bande-annonce à travers une réplique de Priya au Protagoniste (à 1'26) :
You have to start looking at the world in a new way
N’est-ce pas la plus belle proposition d’un film : voir le monde différemment ? Mais pour arriver à cette vision nouvelle, il va falloir faire un effort et passer par quelques concepts. Nolan parsème son récit d’indices et dévoile petit bout par petit bout les mécanismes qui sont à l’oeuvre dans TENET. Certains sont explicitement dévoilés par les personnages (Ives nous explique l’étau temporel / “temporal pincer movement”), d’autres exigent du spectateur un regard attentif en particulier lors des scènes d’action, par exemple pour comprendre les implications de plusieurs passages dans un “turnstile”. Bref, il faut être spectateur actif car, vous aussi, êtes le protagoniste du film.
La 2ème projection
Munie des concepts d’inversion et d’une armée de questions, je suis donc retournée voir TENET une deuxième fois… et là, c’était GE-NIAL ! Vous redécouvrez le film avec un oeil neuf : toute une série de “détails” passés inaperçus vont apparaître et les dialogues vont gagner une nouvelle dimension. Vous allez voir que rien n’est laissé au hasard. Une cohérence stupéfiante émerge des différentes scènes. Le film vous procure la joie immense de commencer à comprendre le chaos en démêlant les fils du temps.
Un film qui se mérite, mais le plaisir est à la hauteur de l’effort
Une critique partagée du film vient du manque d’émotions que procure TENET. Je pense que cette critique est vraie lors la première projection mais devient caduque quand on revoit le film. Au départ les motivations des personnages nous échappent largement. Il est alors difficile d’apprécier leur réaction et la subtilité des dialogues. Mais je vous garantis que, lorsqu’on revoit l’échange entre le Protagoniste et Neil alors que Kat a été atteinte d’une balle inversée et qu’on en comprend les enjeux abyssaux, l’émotion est au rendez-vous.
NB : Si vous avez déjà vu le film, vous pourrez trouver l’explication de la scène du port franc avec une illustration de la chronologie en suivant ce lien. J’espère que cela vous convaincra de la solidité du scénario et de la dimension complètement folle de l’intrigue.
